3 ministres à Chamonix le 29 septembre 2017
Réunion de travail avec Nicolas Hulot, Élisabeth Borne (Ministre des Transports) et Agnès Byzin (Ministre de la Santé), 29 septembre matin
«Je ne suis pas venu la bouche pleine de mots creux», Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, Chamonix, 29 septembre 2017
Synthèse et analyse par Anne Lassman-Trappier (Inspire) et Simon Métral (ARSMB)
Pas d’annonce miracle, mais la proposition d’un travail en commun qui se prolongera jusqu’en mars 2018 et quelques pistes de réponses, suite à la première réunion de travail avec les ministres du 24 juillet dernier à Paris.
Photos Karine Payot / Mairie de Chamonix-Mont-Blanc
Nicolas Hulot nous a proposé de co-construire, d’ici mars 2018, la feuille de route des actions efficaces et opérationnelles à mettre en oeuvre dans la vallée de l’Arve. La tâche nous incombe donc, collectivement, d’identifier les initiatives qui existent et fonctionnent déjà localement, afin de pouvoir les amplifier et aussi de proposer des initiatives et mesures manquantes et devraient être mises en place, pour améliorer la qualité de l'air.
Pour Nicolas Hulot, cette vallée est symbolique et est un paradoxe insupportable, mais elle n’est pas la seule région concernée par des niveaux de pollution de l’air inacceptables en France. La situation à Annecy est aussi inquiétante pour lui. Le ministre a affiché comme priorité les questions de santé-environnement, dont la pollution de l’air. Il préfère que le doute profite au principe de précaution plutôt qu’à l’inaction en attendant des preuves irréfutables.
Lors de la première réunion de travail, en juillet à Paris, nous avions pu évoquer nos demandes prioritaires, en complément des notes techniques complètes que nous avions pu faire parvenir à Nicolas Hulot fin mai. Certains points ont reçu des réponses à Chamonix et il est clair que les ministères avaient travaillé entre la réunion de juillet et celle de septembre, sur l’essentiel des dossiers.
Contrairement aux visites ministérielles habituelles, les ministres ne sont pas arrivés avec des annonces toutes prêtes, préparées sans concertation avec le territoire, dans une opération purement de communication. La nécessité d’agir est partagée par les ministres et ils semblent ouverts à toutes les propositions, pour peu qu’elles soient sensées, étayées et vérifiables.
La solution miracle, a ironisé Nicolas Hulot, consisterait à arrêter la circulation, cesser de se chauffer et fermer les usines. Solutions bien évidemment inacceptables et inapplicables.
La question de la pollution de l’air de la vallée de l’Arve est complexe et Nicolas Hulot cherche à mettre en place des mesures qui répondront à cette complexité et qui traiteront l’ensemble des sources d’émissions. Les adeptes de la solution miracle, qui résoudrait le problème en un coup de baguette magique, sont restés sur leur faim. Les réalistes, eux, ont compris depuis longtemps que la tâche sera beaucoup plus épineuse, mais ont été rassurés de voir que trois ministères sont déjà engagés dans un travail aux côtés des acteurs locaux, dont les associations, dans la définition d'un plan d'action concret pour retrouver un air meilleur. Cette démarche est unique et une opportunité inédite de travailler régulièrement et directement avec le plus haut niveau de gouvernance. A nous de saisir cette main tendue et de proposer des solutions avec précisions, pour leur donner toutes leurs chances d’être retenues.
LES POINTS POSITIFS
Agir sur toutes les sources de pollution
Pour Nicolas Hulot, la pollution de l’air est multi-factorielle.
«Il y a 3 sources de pollution et il est inutile de les comparer.
Ce sont ces 3 sources qu’il faut résorber», a-t-il précisé.
Ceci n’a pas empêché les représentants d’ATMB et des décolleteurs, d’affirmer en fin de réunion que leur secteur respectif ne contribuait pas, ou si peu, à la pollution de l’air de la vallée de l’Arve. Des propos déplacés, qui ont choqué l’ensemble des participants.
Photos Christophe Boillon
Transport de marchandises
La Ministre des Transports a confirmé la mise en concession de l’Autoroute Ferroviaire Alpine, pour une prise d'activité effective en 2018, sans plus de précisions.
À notre agréable surprise, elle a annoncé le retour rapide au trafic ferroviaire d’il y a 10 ans sur la ligne existante du Mont-Cenis. Le trafic était alors de 10 millions de tonnes de marchandises par an, contre 3 actuellement. C’est donc un triplement du fret ferroviaire qui est annoncé, rapidement, mais sans précisions sur la méthode qui sera utilisée pour y arriver. L’infrastructure existe et a été entièrement modernisée, mais comment le sursaut tant attendu du fret ferroviaire deviendra-t-il effectif ?
Interpellés avant la réunion sur la triche suspectée de certains poids lourds à l’AdBlue, ces camions neufs dont le système de dépollution est désactivé et qui émettent alors autant de polluants qu’un camion du début des années 1990, Nicolas Hulot a annoncé qu’il demanderait aux douanes d’effectuer des contrôles en France et de le faire savoir. Élisabeth Borne a ajouté qu’elle entendait faire respecter les règles.
> Voir le communiqué des associations et élus sur l'AdBlueGateUne action en faveur du Gaz Naturel Véhicule (GNV) pour les poids lourds a été annoncée, carburant de transition avant de trouver une solution plus écologique, qui n’émet pas de particules et moins de dioxyde d’azote que le diesel. L’implantation de nouvelles stations GNV sur notre territoire a été évoquée.
Le lancement définitif du Lyon-Turin, dans une dimension beaucoup plus sobre et l’application de sur-péages pour les poids lourds ont aussi été évoqués.
Les interdictions de circulation des anciens camions en cas de pic de pollution et les sur-péages se négocient conjointement avec l’État italien.
La question a enfin été mise au cœur des discussions lors du dernier sommet Franco-Italien. L’interdiction des poids lourds de norme EURO3 est portée par la France, mais pas par l’Italie. L’interdiction de ces poids lourds pourrait intervenir en 2019. Autant dire que les italiens ont botté en touche, car il n'y aura pratiquement plus de camions EURO3 dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus à ce moment-là.
Mobilité des personnes
Les ministres ont clairement compris l’enjeu du développement du ferroviaire comme épine dorsale de la vallée, avec l’amélioration qui sera permise par les travaux du CEVA. La nécessité d’aller vite, dans la cadre du Contrat de Plan État Région, pour prévoir des travaux entre Annemasse et La Roche a été précisée par les élus régionaux (doublement de la voie entre Reignier et La Roche, modernisation de la signalisation). Concernant le trafic de plus en plus massif lié à l’attractivité économique de Genève, Martial Saddier a même affirmé «sans le ferroviaire, on n’y arrivera pas».
Il a aussi été question d’organiser les transports en commun en correspondance avec les TER, ou le RER genevois que sera le Léman Express, ainsi que le développement du covoiturage.
Élisabeth Borne a annoncé vouloir pérenniser la réduction de vitesse sur autoroute toute l’année.
Le secteur résidentiel
Les nombreuses annonces de Nicolas Hulot ont concerné les dispositifs en cours de mise en place au niveau national, afin de favoriser la rénovation énergétique et développer les énergies renouvelables (voir ci-dessous).
Santé
L’étude d’impact sanitaire, dont la restitution avait été repoussée deux fois, a enfin été rendue et a confirmé que la mortalité liée à la pollution de l’air dans la vallée de l’Arve était encore plus élevée qu’on ne l’imaginait. Voir newsletter #94
La Ministre de la Santé a annoncé que l’État publierait rapidement des consignes harmonisées concernant la conduite à prendre en cas de pic de pollution pour les établissements scolaires et sportifs.
LES DÉCEPTIONS ET POINTS DE VIGILANCE
Le gouvernement n’a pas la volonté ou le courage de s’attaquer au lobby routier, les signes sont très clairs. Les ministres annoncent ne pas pouvoir mettre en place de sur-péages sur les poids lourds avant d’être en mesure de leur proposer des alternatives. Si c’est la construction du Lyon-Turin qu’il faut attendre, autant parler de la Saint Glin-Glin. En Suisse, la redevance poids lourds avait été mise en place en amont, afin de financer la construction des nouveaux tunnels…
Le transport routier restera exempté de l’augmentation de la contribution carbone en 2018, comme cela avait été le cas en 2017 et 2016 (focus sur ce point dans une prochaine newsletter).
Concernant la ligne ferroviaire Saint Gervais-Vallorcine, la Ministre des Transports a parlé, par deux reprises, de sa sortie du Réseau Ferroviaire National (RFN). Cette proposition a fait l’effet d’une bombe pour Eric Fournier, pour qui la procédure sera longue et risquera de mettre en cause l’achèvement des travaux sur la ligne. Il ne manque actuellement plus que 8 millions d’€, pour terminer la régénération complète de la ligne, débutée il y a près de 10 ans. Si ces derniers travaux ne sont pas effectués, des limitations de vitesse à 20km/h seront prochainement envisagées par SNCF Réseau. Localement, nous souhaitons donc terminer la phase de travaux, qui est si proche de son terme, afin d’avoir des conditions de circulation raisonnables et d'envisager ensuite l’avenir de la ligne… au sein ou non du RFN.
Le thème de la pollution industrielle a été un grand absent des discussions de la journée. Pourtant le sujet avait été évoqué par les associations lors de la première réunion de juillet.
LES ACTIONS DE L'ÉTAT
rappelées par Nicolas Hulot, qui auront une incidence aussi dans la vallée de l’Arve :
Convergence fiscale entre le diesel et l’essence d’ici 4 ans, processus mis en place par le gouvernement précédent. L’efficacité de cette mesure a été immédiate, avec un fort détournement des particuliers pour diesel.
Une aide à l’achat de voitures moins polluantes, y compris de voitures d’occasion.
Le Fonds Air-Mobilité, par le biais de l’ADEME est doté de 20 millions d’€.
L’Etat abondera davantage le Fonds Air-Bois.
Le Crédit d’impôt pour la rénovation énergétique sera transformé en prime, payée dès la réalisation des travaux, pour ne pas pénaliser les ménages modestes qui ne peuvent pas avancer l’argent des travaux.
La reconduction des Certificats d’Énergie, avec une forte augmentation des volumes. 11 millions d’€ et une aide de 3 000 € pour remplacer un vieil appareil de chauffage au fioul.
Des fonds pour aider à l’action locale, par le biais du Fonds de Soutien à l’Investissement Local, soit 27 millions d’€ pour la Haute-Savoie.
Un travail avec les autres pays de l’Arc alpin sur la pollution de l’air dans le cadre de la Convention alpine.
Étaient présents à Paris le 24 juillet
Anne Lassman-Trappier, Alain Nahmias, Frédéric Champly, Xavier Roseren, Martial Saddier, Véronique Riotton, Loic Hervé, Eric Fournier, Pierre Lambert, les ministres Nicolas Hulot et Élisabeth Borne et leurs services.
Étaient présents à Chamonix le 29 septembre au matin
Anne Lassman-Trappier, Simon Métral, Didier Chapuis, Xavier Roseren, Martial Saddier, Véronique Riotton, Loic Hervé, Eric Fournier, Georges Morand, Christian Monteil, Pierre Lambert, Bruno Charlot, des représentants économiques (SNDEC, ATMB, GRDF), les ministres Nicolas Hulot, Élisabeth Borne et Agnès Byzin et leurs services.
À l’issue de la réunion de travail, qui a duré plus de 2h, les ministres ont pu échanger avec d’autres représentants associatifs et élus locaux. Des représentants de l’association Vivre et Agir en Maurienne ont réussi à s’entretenir avec Nicolas Hulot pendant la pause déjeuner. Gérard Decorps, militant associatif de longue date au pays du Mont-Blanc a évoqué la question des déchets avec le ministre, puis de la santé avec Agnès Byzin. Il en a conclu «c’est la première fois que nous pouvons en toute liberté parler avec trois ministres, à qui il faut au moins reconnaître (et là aussi c'est une première) le fait qu'ils connaissent parfaitement les dossiers».
VERDICT
Les ministres sont à l’écoute. Ils ont clairement travaillé et avancé sur un nombre de sujets entre la réunion de fin juillet et celle de fin septembre, en particulier sur les questions de transports et sur le résidentiel. Certaines annonces doivent être abordées avec davantage de précision. Les pressions semblent fortes pour ne pas agir sur les transports routiers de marchandises. La peur des bonnets rouges ou des blocages des routiers est palpable. Pas de redevance poids lourds, de fiscalité supplémentaire ou de sur-péages envisagés à court-terme. La Ministre des Transports a même évoqué favorablement le doublement routier du tunnel du Fréjus… pour des raisons de sécurité. Quelle marge de manoeuvre sera laissée à ces ministres par le reste du gouvernent pour réduire la pollution de l’air de la vallée de l’Arve et quels sont les arbitrages délicats qu’ils pourront emporter à cette faveur? Là demeurent les véritables questions.
LA PRESSE EN PARLE
France Bleu
Pollution : Nicolas Hulot attendu de pied ferme dans la vallée de l’Arve
RTL
Le journal de 18h : Pollution : trois ministres au chevet de vallée de l'Arve
Libération
Alpes: contre la pollution, Hulot expose une méthode faute de baguette magique